L’Histoire
Reporter Sans Frontière a récemment publié un album photo qui est consacré à Vivian Maier. En le voyant cela m’a remis en mémoire l’étonnante histoire de cette photographe qui comporte une énigme qui m’a toujours plongé dans une grande perplexité (et je ne suis pas le seul !).
Pour comprendre qui était Vivian Maier la visite du site officiel qui lui est consacré « Vivian Maier Photographer » et la lecture de l’article sur Wikipédia sont une bonne introduction. Il y a également un documentaire « A la recherche de Vivian Maier » qui donne beaucoup d’informations sur son parcours de vie.
L’énigme
Beaucoup de choses ont été écrites et publiées depuis la découverte fortuite de son œuvre en 2007, il ne s’agit pas ici de refaire sa biographie mais de s’attacher à l’énigme qu’elle comporte. Pourquoi cette femme qui a consacré sa vie à faire de la photographie de rue n’a-t-elle jamais de son vivant entrepris de démarche pour faire connaître son travail ?
On peut schématiquement décliner une production photographique en trois étapes :
- L’intention, le projet : quel genre de photographie je souhaite faire, quels sont les sujets qui m’intéressent et avec quel regard j’ai envie de les montrer.
- La prise de vue : place à la pratique et au terrain. Pour la photographie de rue il s‘agit de capturer des scènes, de faire des portraits de personnes dans leur environnement urbain (c’est un peu plus large que ça mais je résume).
- L’édition et la publication. L’édition est un travail fondamental pour un photographe. Elle permet de répondre au mieux au premier point : parmi toutes les photographies réalisées quelle sont celle qui sont les plus en adéquation avec mes intentions. La publication c’est la mise sur papier (tirages, livres), les expositions en galeries ou autres lieux et aujourd’hui la mise en ligne via internet.
Ce qui est fascinant avec Vivian Maier est que cette démarche s’est arrêtée à la seconde étape. Au cours de sa vie elle a produit un nombre important de clichés (plus de 100 000) et en a développé qu’une très infime partie. Pourquoi ? C’est ça le mystère qui fascine.
Questionnements
Quelle perception de son travail avait Vivian Maier ? Avait-elle conscience de la qualité de ses photographies ? Se posait elle cette question ? C’était une personne intelligente et les quelques tirages qu’elle a faits devait la conforter sur la qualité de ses clichés. Elle a conservé ses rouleaux de pellicules toute sa vie durant, cela prouve qu’elle y attachait une grande importance. Je pense donc qu’elle avait pleinement conscience de la valeur artistique de ses photographies, mais alors pourquoi ne pas avoir essayé de les publier ?
Ceci dit même si elle avait entrepris de faire connaître son travail il n’y a aucune certitude que Vivian Maier ait été accueillie les bras ouverts par ceux qui étaient à l’époque en capacité de publier ses photographies. Le regard que nous portons actuellement sur son œuvre n’est pas forcément le même que celui qu’aurait eu ses contemporains. Mais même si elle avait essuyé des refus ou rencontré des difficultés pour la publication de ses photographies, on aurait au moins eu la preuve qu’elle avait essayé et qu’elle se préoccupait de faire connaître son travail alors que ce n’a pas été le cas.
Hypothèse et mystère
Quand on regarde ses photographies on perçoit un regard amusé, parfois espiègle mais aussi quelque fois sans concession sur la très dure réalité de certaines populations pauvres de l’époque. Sur ses portraits on ressent une sensibilité, une empathie, une proximité avec les sujets photographiés. Ses images reflètent probablement une partie de sa personnalité.
je crois qu’il faut rechercher dans la personnalité de Vivian Maier les raisons de son absence de volonté de faire connaître son travail de son vivant . C’était une personne atypique pour son époque, excentrique par certains côtés avec un caractère solitaire et indépendant. Le fait de solliciter des personnes pour publier son travail, de s’astreindre à un travail d’édition et de gérer les obligations que tout cela implique lui auraient sans doute été insupportable. Ces contraintes auraient entravé sa liberté de faire uniquement ce qu’elle voulait c’est-à-dire faire des photographies.
Le fait qu’elle ait conservé toutes ses photos durant toute sa vie prouve qu’elle y attachait une très grande importance, d’une certaine façon sa vie était dans ces pellicules. Par contre elle n’a pas laissé de testament ou de volontés sur la transmission de son fond photographique, cela tend à montrer une certaine indifférence quant à sa postérité. Elle n’avait pas d’amis proches, elle n’a donc jamais pu se confier à ce sujet. Cela épaissi le mystère car pourquoi avoir consciencieusement conservé tous ces négatifs sans se préoccuper de leur devenir après sa disparition ?
Conclusion
La découverte de l’histoire de Vivian Maier a confirmé qu’il est possible de passer sa vie à faire des photographies sans jamais les partager. On peut admettre que pour certains photographes la prise de vue est une finalité mais je pense qu’ils sont très peu nombreux dans ce cas. C’est un exemple rare dans l’univers de la photographie et cela est fascinant car je crois que même pour le plus modeste photographe amateur, faire des photographies implique à un moment donné une action pour montrer son travail indépendamment de la valeur de celui-ci.
Le hasard a voulu que l’œuvre de Vivian Maier soit découverte et publiée. En regardant ses photographies on ne peut qu’être impressionné par son talent et il est vertigineux de penser qu’il aurait été possible qu’il reste inconnu pour l’éternité.
Si vous voulez voir les photographies de Vivian Maier, parcourez les galeries du site « Vivian Maier Photographer ».